[Blick] Même l’UDC veut désormais autoriser la réexportation de matériel de guerre suisse

Le Conseil fédéral ayant interdit la réexportation de matériel de guerre suisse, certains Etats menacent de ne plus acheter des armes fabriquées dans notre pays. L’industrie de l’armement craint donc pour son avenir et cela met l’UDC dans une situation délicate.

Daniel Ballmer

Le Danemark n'a pas été autorisé à transférer à l'Ukraine des chars de grenadiers à roues Piranha de fabrication suisse.
Le Danemark n’a pas été autorisé à transférer à l’Ukraine des chars de grenadiers à roues Piranha de fabrication suisse.

L’industrie suisse de l’armement craint sérieusement pour son avenir. Depuis le début de la guerre en Ukraine, le Conseil fédéral a refusé à plusieurs reprises des demandes d’exportation de matériel de protection et de guerre. Et ce, afin de préserver la neutralité suisse.

Le fait que les pays européens ne puissent pas compter sur Berne en tant que fournisseur d’armement en temps de guerre – ce qui a au passage fait fulminer le vice-chancelier allemand Robert Habeck – pourrait avoir des conséquences à long terme: l’Allemagne a annoncé qu’elle ne voulait plus acheter de munitions suisses. D’autres pays de l’OTAN pourraient suivre cet exemple.

Désavantage face à la concurrence

Cette situation est délicate, notamment pour le ministre de l’Economie Guy Parmelin. Jeudi dernier, il a invité des représentants de l’industrie de l’armement à une table ronde. Selon lui, la Suisse est confrontée à de grands défis: la guerre en Ukraine pourrait à nouveau «favoriser une politique d’acquisition orientée vers les alliances». En clair: la Suisse risque de rester à l’écart.

Le lobby des armes est également inquiet pour «la réputation et la fiabilité de la Suisse». Si d’autres Etats ne peuvent pas fournir à l’Ukraine des armes et des munitions de fabrication suisse, l’industrie de l’armement helvétique se voit désavantagée par rapport à ses concurrents. La demande du lobby des armes est donc la suivante: la Suisse doit assouplir sa loi stricte sur le matériel de guerre. L’importance de l’industrie de l’armement pour la sécurité de la Suisse doit être reconnue.

Un virage à 180 degrés

Il semble que même l’UDC ait changé d’avis. Jusqu’à présent, le parti tenait dur comme fer à sa position de stricte neutralité. Mercredi matin encore, le parti dénonçait les propositions de transmission d’armes comme un danger pour la sécurité du pays. Toutefois, au cours de l’après-midi, des politiciens de l’UDC ont annoncé vouloir ouvrir la voie à la réexportation de matériel de guerre. Un virage à 180 degrés au sein du parti.

Le conseiller aux Etats UDC Werner Salzmann a présenté jeudi deux propositions à la Commission de la politique de sécurité (CPS-E), a annoncé CH Media. «Il est important pour moi que nous respections le droit de la neutralité», a déclaré le président de la CPS-E, cité par le journal, «et tant que nous ne livrons pas directement des armes dans une zone de guerre, c’est le cas». Il se dit que les propositions ont été discutées avec le parti. Mais elles ne font pas l’unanimité.

Aider l’industrie d’armement suisse

L’objectif premier de ce revirement n’est pas de venir en aide à l’Ukraine, mais plutôt de soutenir l’industrie suisse de l’armement. Les propositions de Werner Salzmann sont soutenues par son collègue UDC Hannes Germann. Il faut certes préserver la neutralité, mais en même temps, la loi sur le matériel de guerre doit être assouplie pour les pays amis, explique-t-il sur Twitter. «Nous renforçons ainsi notre industrie de l’armement et notre propre armée», ajoute-t-il.

Le lobby des armes devrait justement faire pression auprès de l’UDC. Le parti populaire a du moins reconnu qu’un refus strict de toutes les livraisons d’armes mettrait effectivement en danger l’avenir de l’industrie d’armement nationale.

Préserver le principe de la neutralité armée

Selon l’UDC, un refus strict de toutes les livraisons d’armes mettrait en danger l’avenir de l’industrie d’armement nationale. Et cela rendrait à son tour impossible une production d’armement indépendante dans le pays – mettant ainsi à mal le principe de la neutralité armée, auquel le parti populiste tient précisément beaucoup. «L’industrie suisse de l’armement est un pilier de notre armée de milice», souligne Werner Salzmann à la SRF. Autoriser les livraisons d’armes indirectes ou mettre en danger l’industrie d’armement nationale – l’UDC a le choix entre la peste et le choléra.

Le sujet reste d’ailleurs très controversé au sein de l’UDC. Le chef du groupe parlementaire Thomas Aeschi laisse entendre que la question est toujours en suspens et que le groupe ne s’est pas encore fait une opinion définitive. Lui-même ne veut pas dévoiler ses cartes. Mais il semble clair que l’UDC souhaite continuer à défendre la neutralité de la Suisse.

Quid des autres partis politiques?

En ce qui concerne les autres partis politiques, le PLR et le Centre travaillent depuis maintenant plusieurs semaines pour un assouplissement de l’interdiction de réexportation. Tandis que le PS a également changé d’avis en faveur d’une législation plus souple en matière de réexportation de matériel de guerre.

Pour le lobby des armes, il y a donc de bonnes raisons d’espérer.